A l’occasion des Journées des professions libérales, qui se sont tenues du 9 au 11 septembre 2021 à Marseille, le président de l’UNAPL Michel Picon a clôturé ces rencontres entre cadres et représentants de l’UNAPL avec un discours sur l’identité des professions libérales.
Monsieur Le ministre Hervé Novelli,
Monsieur le Président du conseil national des barreaux
Monsieur Le Président du conseil supérieur des experts comptable
Mesdames et Messieurs les Présidents d’organisations membres, de régions et commission paritaire régionale PL
Chers Amis,
Je suis très heureux de vous accueillir ce matin dans le cadre des journées des professions libérales à Marseille une ville que nous aimons tous.
Vous avez accepté de participer à notre table ronde sur l’identité des professions libérales et d’apporter le point de vue, la sensibilité ordinale sur une question qui nous concerne tous, une question transversale à toutes nos professions.
Le chantier de l’identité des professions libérales est une réflexion au long cours, initiée l’année dernière par l’UNAPL, nous la poursuivons ce matin.
La question de l’identité des professions libérales est une question existentielle, mais aussi politique, sociale, psychologique, dont dépend notre visibilité auprès des pouvoirs publics, dont dépendent, aussi, de façon très concrète, l’état d’esprit et le moral des chefs d’entreprise libéraux sur le terrain.
Ceux- ci, notamment depuis la crise sanitaire, sont souvent en proie au doute, au sentiment – au ressentiment, parfois -, de n’être pas assez soutenus par le gouvernement, comme il serait légitime qu’ils le soient par rapport à d‘ autres secteurs.
En 2017, le rattachement de certaines de nos professions au régime de retraite et de formation des indépendants a manifesté le risque très concret de dilution de l’identité libérale dans le vaste groupe des Travailleurs indépendants.
« Sommes-nous des indépendants comme les autres ?», pour le dire de façon un peu abrupte.
Face aux classifications administratives, aux transferts souvent aléatoires, arbitraires, de nos professions vers la Sécurité Sociale des Indépendants et vers l’AGEFICE l’organisme de formation des indépendants, nous devons reprendre la main, nous réapproprier la question de notre identité.
Sans trop nous avancer, ni déflorer les résultats de l’enquête menée par Harris Interactive, qui nous seront présentés dans un instant, nous avons obtenu confirmation de deux choses capitales :
Si pris individuellement, les professionnels libéraux s’identifient souvent plus à leur métier, à leur activité, qu’à leur statut de libéral,
1°/tous se retrouvent spontanément sur les valeurs communes qui les réunissent – indépendance, responsabilité, respect d’une déontologie particulière, d’une éthique à l’égard de leurs patients, de leurs clients.
2°/tous expriment la demande très forte d’une action transcendant les intérêts professionnels particuliers pour viser les intérêts communs, transversaux à chaque profession.
Bref, une volonté très forte de faire corps.
Ne faut-il pas voir, venant corroborer ce désir d’unité, que le projet d’indemnités journalières pour l’ensemble des professionnels libéraux, qui n’était encore qu’un projet l’année dernière, est devenu réalité depuis le 1er juillet dernier ?
C’est bien, en effet, la preuve que les professions que nous représentons sont capables de mettre de côté leurs particularités quand il s’agit de concevoir et mettre en place une solidarité commune, transversale, et ce entre des professions libérales très diverses, depuis les anciennes, réglementées, ordinales jusqu’aux nouvelles, non réglementées, œuvrant dans le domaine du conseil et du bien-être.
N’est- ce pas une certaine forme de « fraternité », à laquelle appelait le professeur Paul- Henri ANTONMATTEI, lors du séminaire de l’année dernière ?
S’il y a intérêt à créer de tels mécanismes de solidarité transversale, quel est exactement le fondement, le « commun », qui justifie et autorise cette solidarité ?
Cela doit être mis à jour, questionné, approfondi, afin de nous aider à définir le périmètre des professions libérales dans leurs contours mouvants, en pleine transformation.
Qui dit « corps » dit appartenance, communauté organique, biologique et non mécanique. Ce chantier a pour ambition de retrouver, de mettre à jour la logique de continuité, la force de progression et de déploiement de l’organisme que constituent aujourd’hui et demain les PL.
En ces temps d’urgence climatique et écologique – Marseille vient d’accueillir un congrès international sur la nature et la biodiversité -, permettez- moi d’user d’une métaphore végétale, proustienne1 pour les connaisseurs – :
Nous ne devons pas concevoir ce corps des professions libérales comme un « bâtiment auquel on pourrait ajouter une pierre du dehors », mais comme un « arbre qui tire de sa substance le nœud suivant de sa tige, l’étape suivant de sa frondaison ».
Quelle logique est à l’œuvre, quelle logique doit présider à l’appartenance « PL » ?
Au- delà de la métaphore biologique, c’est bien aussi la finalité, l’objectif qui doivent être interrogés. Car rien n’est jamais donné en matière d’identité, celle- ci est toujours de l’ordre du voulu, du projet, et même du désir.
Bref, entre vision essentialiste et vision finaliste, je crois qu’il ne faut pas choisir, mais les combiner habilement ensemble.
La question de l’identité ne peut être abordée d’un point de vue purement administratif, pratico- pratique, ni même théorique et juridique ; elle est fondamentalement politique : que voulons- nous, quel sens voulons-nous donner à notre corps social, quel avenir aussi ?
Comme l’a rappelé encore le professeur Paul- Henri ANTONMATTEI lors du séminaire de l’année dernière, nous avons la « responsabilité de notre périmètre ».
Monsieur le Ministre, cher Monsieur, Hervé NOVELLI, vous êtes celui qui a fait voter la loi de modernisation de l’économie de 2008 mettant en place le statut d’auto-entrepreneur, destiné à faciliter le lancement et l’interruption d’une activité, entré en vigueur le 1er janvier 2009.
L’UNAPL avait soutenu, à l’époque, le projet de ce régime d’auto- entrepreneur, je précise bien ce régime car il s’agit bien d’un régime fiscal et sociale et non d’une profession, un régime destiné à démocratiser et faciliter l’entrepreneuriat pour tous.
Aujourd’hui, 53,9 % des créations d’entreprise dans les activités libérales relèvent du régime de l’autoentrepreneur (source : DGE).
Les auto- entrepreneurs, pour beaucoup issus du salariat, sont venus grossir les troupes des professions libérales de façon conséquente (on en dénombre 310 000 au 31 décembre 2019 selon les chiffres du RSI). Ils ont contribué significativement à accélérer l’évolution de leur profil économique et sociologique, en profonde mutation, il est vrai, depuis l’émergence de nouveaux métiers, selon une logique toujours exacerbée de concurrence de marché.
Que reste-t-il Monsieur le Ministre, aujourd’hui, de la belle utopie d’un monde uniquement fait d’entrepreneurs, sans plus « d’exploiteurs » ni « d’exploités », selon vos propres termes d’alors ?
A l’heure des plateformes numériques, quelle signification donner à l’ambition d’être autoentrepreneur, si ce n’est d’être entrepreneur de soi- même2 ?
Le recours au régime de l’auto- entrepreneur, qui s’est construit en dehors des règles d’encadrement classiques et des logiques de métiers axé sur les qualifications, a-t-il une incidence quelconque sur l’appréhension de soi comme professionnel libéral ?
La définition de 2012 nous semble-t-il n’a pas réussi à dissiper le flou juridique concernant l’identification précise de nos professions. Elle n’a pas vraiment su intégrer le phénomène nouveau, à l’époque, des auto- entrepreneurs.
Quelles sont les conditions nécessaires et suffisantes de l’identité libérale ? Quels en sont, au contraire, les simples corollaires, superfétatoires ?
Je crois qu’il est temps de vous laisser parole, et de vous laisser avec Sylvie Fontlupt en charge de la communication de l’UNAPL et à notre ami Denis RAYNAL Vice-Président de l’UNAPL, en charge tout spécifiquement de ce chantier. Je me réjouis d’avance de vos échanges que j’espère riches et stimulants, ils permettront aussi je n’en doute pas d’entrer davantage au cœur des profondes mutations dont sont l’objet les professions libérales : digitalisation, intelligence artificielle, interprofessionnalité, adaptation de la déontologie, nouvelles formes de protection pour rester toujours plus au cœur des préoccupations et de la confiance précieuse que nous accorde nos clients, nos patients, une confiance qui nous oblige.
Je vous souhaite à tous de bons travaux et une très riche matinée.